Christine Lagarde au pied du mur

Lors de son audition devant le parlement européen, Christine Lagarde a exposé son intention d’entreprendre un examen de la stratégie de la BCE une fois pris ses rennes. Faisant valoir les enjeux que représentent les taux négatifs et le faible niveau de l’inflation. Mais jusqu’où un tel examen peut-il la mener ?

Elle va suivre la piste ouverte par Jerome Powell, le PDG de la Fed, qui a également annoncé un examen stratégique. Mais ne risquent-ils pas tous deux de décevoir devant les attentes qui se manifestent en proposant de nouvelles missions pour les banques centrales ?

Certes, leur mission de lutte prioritaire contre l’inflation est pour le moins datée dans un contexte où celle-ci est au contraire recherchée. En définir une nouvelle s’imposerait, mais qui va oser ouvrir ce chapitre ? Les suggestions ne manquent pas, face aux défis qui sont rencontrés – en premier lieu le financement de la transition écologique – mais elles impliquent une création monétaire hier combattue pour ses effets inflationnistes et aujourd’hui désirée pour une bonne cause ! Il faudrait pour cela bannir l’orthodoxie actuelle et nous n’en sommes pas là.

Le FMI vient à nouveau d’abaisser ses prévisions de croissance mondiale pour l’année prochaine, qui seront les plus basses depuis le démarrage de la crise financière, et la BCE a abouti à la même conclusion après enquête auprès des prévisionnistes. Sur ce terrain, que peut-on attendre ? Afin d’engager la relance économique, Mario Draghi a lors de sa dernière conférence de presse préconisé plus clairement que jamais la création d’un « outil budgétaire centralisé », la banque centrale ne pouvant pas tout faire. Mais aucun signal en ce sens n’est détectable, et Christine Lagarde va se trouver à son tour devant le même mur.

Elle va s’inscrire sans faille dans la poursuite de la politique de Mario Draghi et des dernières mesures accommodantes qu’il a fait adopter. Car si les banques centrales sont arrivées au bout de leur rouleau, elles n’en conservent pas moins un rôle devenu permanent de stabilisation du système financier. Le capitalisme est devenu assisté, une situation paradoxale alors que ses partisans acharnés n’arrêtent pas de stipendier l’assistanat dans lequel se complairaient les pauvres « sans dents ». La Fed donne d’ailleurs l’exemple en amplifiant par précaution ses injections de liquidités sur le marché des repos, faute d’avoir vraiment compris les causes de son accès de fièvre de septembre dernier. Ce marché est comme on sait essentiel au fonctionnement au jour le jour du système bancaire. Les analystes restent à l’écoute attentive des accidents de parcours de la finance et donnent un signal de plus de son état précaire.

Le monde fait face à deux défis, la lutte contre le réchauffement climatique et l’accroissement des inégalités, qui réclament tous deux d’agir. Les manifestations monstres qui parcourent la planète illustrent on ne peut plus clairement un ras-le-bol généralisé devant les atteintes au bien-être du plus grand nombre. Il y a donc là une urgence à laquelle la réponse se fait attendre. Mais l’examen de la stratégie de la BCE que voudrait engager Christine Lagarde va tourner court étant donné ses implications s’il était mené jusqu’au bout. Imperturbablement, il continue d’être préconisé aux gouvernements – y compris par celle-ci – de prendre les mêmes « décisions courageuses », c’est à dire impopulaires, tout en dénonçant le danger « populiste » montant, énonçant deux impératifs contradictoires. Et il est attendu des investisseurs privés qu’ils financent la transition écologique à coup de « green bonds » (des obligations labellisées « Vertes » suivant des critères plus ou moins complaisants), les États n’en ayant plus les moyens, faute de pouvoir emprunter à un moment pourtant rêvé. L’heure est à la crispation, pas à l’innovation.

Sur ce dernier terrain de la transition écologique, la nouvelle présidente de la BCE a pointé le bout de son nez en ressortant des textes réglementaires concernant sa mission, l’environnement y étant qualifié de mission « secondaire ». Dans la pratique, elle pourrait privilégier les achats de « green bonds », la Commission ayant déjà créé de son côté la Plateforme internationale pour une finance durable (dont l’acronyme anglais est IPSF). Pas de quoi fouetter un chat !

La nouvelle présidente va se trouver à la tête d’une équipe largement renouvelée, les départs du Conseil des gouverneurs de la BCE s’étant multipliés dans la dernière période. Elle va devoir y trouver des points d’appui et tenter de forger un consensus dans le contexte d’un couple franco-allemand qui bat désormais de l’aile, le gouvernement allemand ayant tendance à jouer solo sur les dossiers qui l’arrangent, un jour la répartition des contributions au budget de l’OTAN, un autre des propositions quant à l’avenir d’une « zone de sécurité » occupée par la Turquie dans le Nord-Est syrien. Les divergences de situation et d’intérêt entre les neuf pays de la zone euro vont de plus en plus peser et compliquer encore la tâche de leur banque centrale unique qui ne peut mener qu’une seule politique monétaire à la fois.

La soi-disant indépendance des banques centrales a du plomb dans l’aile. Elle a en effet perdu sa justification, ayant comme origine la volonté de couper l’herbe sous le pied aux États dispendieux et inflationnistes en leur retirant les clés du coffre. Tout un corps doctrinaire enchâssé dans le monétarisme triomphant qui a prévalu est désormais comme le reste dépassé par les événements, mais par quoi le remplacer ? Faute de s’y engager, la crise larvée va se poursuivre sous tous ses aspects.

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